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«  La vie est un théâtre » : rencontre avec la photographe Clarisse Rebotier, pour son exposition Hic et Nunc au Musée de l’Homme.

Clarisse Rebotier, le 30 novembre 2018, à Paris. © Brigitte Trichet.

À l’occasion des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Musée de l’Homme accueille l’exposition de Clarisse Rebotier, Hic et Nunc. La journaliste Camille Chuquet l’a rencontrée pour Hemeria. Elle brosse ici le portrait de la photographe, qui montre pour la première fois au grand public cette série de portraits en noir et blanc. Ils font écho aux images sélectionnées par Sebastião Salgado pour illustrer la charte des Droits de l’Homme… Courez-y !

Clarisse Rebotier a grandi à la croisée des mondes. Enfant, elle aimait passer du temps avec son grand-père français né en Tunisie. « Toujours avec sa djellaba, ses babouches, il écrivait en arabe, en hébreu et calligraphiait des poèmes ». Ainsi, Clarisse Rebotier pensa-t-elle longtemps qu’elle était, elle aussi, arabe. Elle voulut apprendre la langue et voyagea aussi bien au Maghreb qu’au Moyen-Orient. Inspiré par le multiculturalisme et le monde animal, son univers visuel aborde le rapport à l’autre et à la nature. Photographe reconnue, Clarisse Rebotier expose et publie ses photos en France comme à l’international, et elle a reçu de nombreux prix pour son travail. Pourtant l’artiste peine encore à concevoir la photographie comme un métier, et préfère se concentrer sur l’essentiel ; elle « fait des photos », toujours en quête d’échanges et de rencontres.

Conformément aux idées de Paul Klee, la démarche artistique de Clarisse Rebotier consiste à « rendre visible ». Les variations de perspectives, les contrastes, et les décalages à l’œuvre dans ses photographies, soulignent les ambivalences, les charmes et les troubles de la vie quotidienne. Avec humour et dérision, Clarisse Rebotier parvient à décomplexer des sujets graves comme l’immigration et les espèces menacées. Mais au-delà de son engagement solidaire et écologique, la photographe révèle l’homme et l’animal dans la modernité.

« Que je photographie des personnes réfugiées sur l’Esplanade des droits de l’Homme, ou que je mette des girafes dans le métro, j’interroge toujours notre identité, notre altérité, notre animalité. »

Il s’agit de mettre le vivant en situation et de porter la singularité de chacun. Car si la vision humaniste de Clarisse Rebotier ne fait pas de différence entre les peuples, elle considère que l’« on est chacun, différent de chacun des autres ».

Pour multiplier les points de vue et dégager les paradoxes du vécu, Clarisse Rebotier compose des décors de vie, souvent en intégrant des éléments insolites dans des cadres familiers. Elle a notamment recours à la taxidermie, qu’elle a apprise au Muséum d’Histoire Naturelle avec Christophe Gottini. Certaines séries de photos mettent en scène les animaux du musée. Dans la jungle urbaine, Clarisse Rebotier cherche à provoquer des ruptures permettant à chacun de s’identifier aux animaux, qu’on soit aussi à l’étroit qu’une girafe dans le métro, ou qu’on s’interroge sur les œufs en batterie, comme un coq qui verrait sa progéniture en boîte, au supermarché. 

La série Hic et Nunc, exposée jusqu’en juin 2019, suit une approche similaire. Constituée d’une trentaine de portraits en noir et blanc, elle met en avant la joie des réfugiés, se tenant sur l’Esplanade des droits de l’Homme, devant la Tour Eiffel. Dans ce lieu symbolique, Clarisse Rebotier dresse un plaidoyer pour la solidarité, rappelant l’urgence d’accueillir les populations qui ont fui la guerre. La force de la série est d’intégrer les réfugiés à la composition, de façon à suggérer qu’ils appartiennent déjà à la France. Les réfugiés semblent en parfaite harmonie avec la Tour Eiffel qui se dessine derrière eux, symbole d’une capitale cosmopolite.

Le décalage ne surgit pas des éléments visuels mais bien de la distance existant entre ce que la photographie montre et ce qu’elle implique. Dans l’imaginaire commun, se faire prendre en photo devant la Tour Eiffel est lié au tourisme, à l’exotisme, pour tous ceux qui sont de passage. Or, si les réfugiés voyagent, c’est dans l’épreuve et la tourmente, pour trouver une terre d’accueil.

Il faut savoir qu’Hic et Nunc est un projet participatif dans lequel les réfugiés ont contribué ensemble au développement de leurs portraits, avec Thomas Consagny, le tireur argentique. Après avoir sollicité l’association Aurore, spécialisée dans la transformation de lieux de transition en logements sociaux, Clarisse Rebotier a rencontré les réfugiés, afin de les réunir autour d’un projet commun. Tout en créant du lien social, la photographe a permis à ce groupe de personnes de devenir des sujets actifs de leur intégration.

Durant toute la saison En Droits !, les photos seront accrochées à l’entrée de la Galerie de l’Homme, comme un préambule à l’exposition du grand photographe humaniste Sebastião Salgado, dont les clichés viennent illustrer les articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Cette mise en avant inédite des portraits de la photographe fait de l’accueil des réfugiés un impératif pour l’humanité ; « ici et maintenant » comme le clame l’écriture ingénue de Dugudus.

Selon Clarisse Rebotier, « tout est un théâtre à habiter ».

Elle aime les petits mondes autonomes, se passionnant pour les musées, la rue, le métro, ou encore la communauté des chanoines réguliers de Saint-Victor. D’après l’artiste, la photographie, comme la taxidermie, doivent « capter le mouvement dans un art immobile », et « saisir la vie sans la tromper » ; restituant ainsi cette scène de l’existence dont parle Kundera. Celle sur laquelle on entre sans avoir répété.

Les œuvres de Clarisse Rebotier exaltent également le rapport au corps, attribut du décor, dans un jeu de couleurs, de matières et de robes animales saisissantes. Elle entend ainsi « proposer une lecture libératrice du monde », un peu comme Artaud pour qui « le théâtre doit s’égaler à la vie » et générer « une sorte de vie libérée ». La photographie représente ; comme le théâtre, elle donne à voir des histoires d’hommes dans un contexte pensé, choisi et construit. « À nous d’y trouver notre place », conclut Clarisse.

Camille Chuquet (journaliste).

Vous pourrez retrouver l’interview complète en podcast sur notre site.

Pour écouter le replay de l’émission La Grande Table Culture sur France Culture consacré à Sebastião Salgado, cliquer ici.

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