« Ressouvenance ou généalogie active des disparus »
Sophie Zénon sait que l’histoire est une « matière vivante ». Historienne de formation, inspirée par les travaux de Georges Didi-Huberman, elle a développé une démarche holistique qui s’intéresse plutôt aux petites histoires anonymes qu’à l’épopée des grands bouleversements, et qui donne, en plus d’un solide socle théorique, une vraie place à l’instinct de la chercheuse, l’attirant vers des dimensions oniriques, voire chamaniques. Ses thèmes de prédilection, depuis qu’elle a commencé à utiliser la photographie comme outil de recherche en 1996 jusqu’à en faire une pratique artistique à part entière à partir de 2001, tirent leur source d’un voyage initiatique en Mongolie, qu’elle qualifie volontiers d’« expérience de vie » fondatrice.
Les liens de l’homme à la Nature, le rapport à la mort, le dialogue du passé avec le présent, le corps dans l’espace, ce sont les sujets récurrents de son travail que l’on retrouve dans ses dernières séries : à l’heure où certains voudraient vaincre la mort et rêvent d’une immortalité séparant la conscience du corps, Sophie Zénon aime à montrer la prégnance de la proximité de la mort dans le cycle naturel de la vie et nous met au défi, par la création d’images poétiques où ils s’entremêlent, de ne pas dissocier les vivants et les morts, de ne pas les mettre à distance.
Que ce soient les momies de Palerme, les maquisards de l’Argoat, les soldats vosgiens de la Grande Guerre, elle redonne forme aux disparus, aux oubliés, ils se transforment en visages-paysages, les corps s’imbriquent aux végétaux dans des compositions où le flou devient vibration, jouant des ombres, des lumières, des superpositions, de sorte que surgissent des formes telles des images hypnotiques de transcendance. Ainsi, elle nous accompagne dans une réflexion sur le rôle des traces mémorielles, explore les failles pour conjurer notre angoisse face à notre disparition inéluctable et exorciser une finitude annoncée. Si l’acte photographique est un acte poétique, il est aussi producteur d’émotions quand l’image créée ressuscite et interroge à la fois des faits historiques et une mémoire intime et collective, donnant à voir ceux qui, hier, ont peuplé un monde disparu mais ressuscité grâce à la magie des images.
Nous vous laissons en compagnie d’une artiste accomplie et féconde, qui met autant de précision dans la fabrication de son œuvre que dans la scénographie des expositions qui en découlent. Bonne écoute.
Pour vous plonger dans les sources de documentation évoquées par Sophie Zénon >
Essais
Georges Didi-Huberman
Pour commencer encore, dialogue avec Philippe Roux, Argol éditions, Coll. « Les Singuliers », 2019
Phalènes. Essais sur l’apparition,vol. 2, Éditions de Minuit, 2013
Phasmes. Essais sur l’apparition, Éditions de Minuit, 1998
Images malgré tout,Éditions de Minuit, 2004
Écorces,Minuit, 2011
L’Image survivante, Éditions de Minuit, 2002
Sylvie Lindeperg
La Voie des images. Quatre histoires de tournage au printemps-été 1944, Éditions Verdier, 2013.
Jérôme Prieur
Rendez-vous dans une autre vie, essai sur le passé et l’archéologie, Éditions du Seuil, 2010
Vinciane Despret
Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, Éditions La Découverte / Coll. Les Empêcheurs de penser en rond, 2015
Collectif
Catalogue d’exposition sous la direction d’Emmanuelle Héran. Réunion des musées nationaux, 2002
Le dernier portrait.
Artistes
Dieter Appelt
Ramifications. Catalogue de l’exposition. Arles, musée Réattu, 4 juillet – 28 octobre 2007. Éditons Actes Sud, 200
Sally Mann
The Flesh and the Spirit,Aperture, 2010
Deep South,Bulfinch, 2005
What Remains, Bulfinch, 2003
Jœl-Peter Witkin
A Retrospective (monographie), Scalo/D.A.P., New York, 1995
Marina Abramovic
Traverser les murs. Mémoires. Fayard, 2017
Ana Mendieta
Le temps et l’histoire me recouvrent,Les Presses du réel, 2018
Bill Viola
Catalogue de son exposition au Grand Palais, Réunion de musées nationaux, 2014
